« J’ai touché de près un moment historique »
Cet article a été publié dans le dernier numéro de notre revue Empreintes. Abonnez-vous!
Présent aux Jeux de Munich en 1972, le Bordelais Lionel Vignes a assisté de sa fenêtre au début de la prise d’otages des athlètes israéliens par Septembre noir, un groupe de terroristes palestiniens.
Il est trois heures, cette nuit du 4 au 5 septembre 1972 lorsque mes deux copains, Pierre et Jean
François, me déposent avec leur Volkswagen sur la Lerchenauer Strasse, à quelques centaines de
mètres de l’entrée du village olympique. J’enfile ma veste de l’équipe de France, je montre la clé
de « ma » chambre, je rentre dans le village olympique et je monte me coucher en lançant au gardien de l’entrée « Gute Nacht ».
Quelques jours après mon arrivée à Munich, j’avais rencontré un ami qui avait obtenu un poste de coopérant pour la délégation olympique du Congo. Il m’assure que l’on rentre sans contrôle dans le village olympique et que, dans son immeuble, des chambres entières sont inoccupées. Il me fournit rapidement la clé de l’une d’elles.

De gauche à droite : Nelson Paillou, Durand Saint Omer, Jacques Abadie, Madame Durand Saint Omer, Colette Besson et Jo Maïsetti. Photographie prise dans le village olympique sur laquelle 4 personnes ne sont pas accréditées.
Des chars sous la fenêtre
Habillé de ma veste de l’équipe de France et muni de cette clé, toutes les portes s’ouvrent devant moi : celle du village et de ma chambre, du stade d’entraînement et, bientôt, celle du stade, ce qui me permet de revendre mes billets et d’assister aux compétitions… dans la tribune des athlètes. Elle se situe devant la ligne d’arrivée. La vie est belle à 23 ans ! Les Allemands voulaient des jeux conviviaux pour effacer l’image des Jeux de Berlin de 1936.
La chambre est très grande. Je suis seul à l’occuper. Un matin, un athlète congolais que je rencontre dans le couloir part pour son épreuve, sans pointes. Je cours jusqu’à la boutique et je lui achète, avec l’argent des billets vendus au « marché noir », une paire de chaussures pour lanceur de javelot !
N’étant pas tranquille de ma situation irrégulière, j’avais fait quelques repérages dans le village
pour sortir sans trop me faire remarquer. Les hébergements et toutes les activités se trouvaient sur une dalle au dessus du niveau des rues. Sous cette dalle se situait toute la logistique pour les livraisons, le passage des voitures et des cyclistes partant ou revenant de leurs entraînements. J’avais remarqué un escalier en colimaçon qui n’était pas contrôlé et qui permettait d’accéder au niveau de la rue.
Ce matin du 5 septembre, je me prépare tranquillement. Mes amis Pierre et Jean François doivent venir me chercher pour aller visiter le musée de peinture de la ville de Munich, la Pinacothèque. Je me dirige vers la fenêtre et j’ouvre le volet roulant. Stupeur ! Je reste un moment sans réaction. Je dois être au quatrième étage de l’immeuble et je domine toute la Lerchenauer Strasse. Des chars et des militaires, fusils mitrailleurs en mains, sont postés sur toute la rue. Je me précipite dans le couloir. J’interroge mon ami et ses athlètes congolais. Pas de réponse à nos interrogations.
17 morts
L’angoisse s’invite. Je suis au mauvais endroit au mauvais moment. Je sors de l’immeuble. La dalle est anormalement calme ce matin. J’aperçois l’escalier en colimaçon. Toujours pas de contrôle. Je suis dans la rue. Je rejoins la Volkswagen. Nous partons pour la Pinacothèque. Je respire. Nous finissons par trouver la radio Europe 1 : c’est un attentat palestinien contre le bâtiment de la délégation israélienne. Il y aurait deux morts israéliens. Je réalise que je me suis sorti d’une situation bien compliquée.
Une longue journée historique et dramatique commence. Elle se termine très mal dans la nuit : les neufs otages israéliens sont exécutés, cinq des huit terroristes sont abattus, un policier allemand trouve la mort. Ce qui porte le bilan à 17 morts.
Quelques années plus tard, je regarde le documentaire Munich, les jeux de la terreur, à la télévision. J’y apprends que les huit terroristes sont entrés dans le village, cette nuit du 4 au 5 septembre 1972 à quatre heures du matin, comme moi, déguisés en athlètes, comme moi, simulant un état d’ébriété avec les armes cachées dans des sacs de sport, pas comme moi. Ils avaient été aidés par des athlètes canadiens pour franchir les grilles du village olympique, pas comme moi.
J’ai touché de près un moment historique.
Lionel Vignes
(Page d’accueil du site : une du journal Sud-Ouest du 6 septembre 1972 ©Sud-Ouest)
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